La Société géologique de France a apporté sa contribution sous la forme d’un « cahier d’acteur » qui prend en compte les avis de nos membres, consultés courant novembre. Le cahier d'acteur est présenté ci-dessous :
En France, la filière nucléaire représente 83% de la production d’énergie primaire et 77% de la production d’électricité. Les perspectives d’évolution de ces chiffres sont cadrées à moyen terme par l’engagement du Président de la République de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50% en 2025. L’option nucléaire a permis de réduire la dépendance de la France aux hydrocarbures et présente l’avantage de ne pas émettre de gaz à effet de serre. Les inconvénients sont connus : danger d’exposition aux rayonnements dans le cadre du fonctionnement des centrales jusqu’aux risques majeurs comme celui de la catastrophe récente de Fukushima. La gestion des déchets est également un enjeu critique compte tenu de la dangerosité et de la durée de vie de certains déchets (HA : haute activité ; MAVL : moyenne activité à vie longue).
Il existe d’ores et déjà 43 000 m3 de déchets MVLA et 2 700 m3 de déchets HA. Compte tenu de la pérennité, annoncée à moyen terme au moins, du nucléaire dans notre bouquet énergétique et de la durée de vie des éléments radioactifs, ces déchets doivent-être gérés de façon sérieuse et planifiée sur le long terme. On peut, à ce sujet, regretter que ce débat sur les déchets ne vienne pas en aval de la finalisation de la réflexion globale sur l’avenir énergétique de la France, ce qui aurait permis de mieux faire connaître les volumes concernés. Néanmoins, cette problématique a fait l’objet d’un long processus décisionnel technique et politique depuis trente ans. En 2006, le Parlement a fait du « stockage géologique profond » la solution de référence, ce qui a confirmé la place les Sciences de la Terre au cœur du processus.
La Société Géologique de France, forte de 1400 membres, issus des milieux académiques et professionnels a pour objet de concourir au développement des Sciences de la Terre et des Planètes tant en lui même que dans ses rapports avec l’industrie, l’agriculture, l’environnement et l’éducation. Elle souhaite apporter son éclairage au Débat National en cours, suite à une consultation de ses membres.
Dès 1987, le rapport du Groupe présidé par le Professeur Jean Goguel avait listé les principaux critères géologiques auxquels devait répondre un stockage de ce type :
- importance des barrières interposées entre les substances radioactives et la biosphère,
- faible perméabilité de la roche « hôte »,
- gradient hydraulique régional faible,
- contexte géologique stable en termes de glaciation, mouvements verticaux, séismes.
De ces critères découlaient des recommandations spécifiques :
- connaissance de l’hydrogéologie régionale,
- analyse de la composition minéralogique, des caractères pétrophysiques et des capacités de rétention de la roche hôte,
- évaluation de la profondeur pour garantir les performances du confinement.
Enfin, dans un souci de gestion optimisée de notre sous-sol, le rapport recommandait d’éviter des zones présentant un intérêt connu ou soupçonné.
Depuis 20 ans, de nombreuses études géologiques ont été menées dans le cadre du choix de la roche encaissante (granite, argiles, sel…), de la sélection du site de Bure et de l’installation du laboratoire souterrain. Pendant cette période, de nombreux laboratoires français et européens ont pu soumettre des projets de recherche sur des sujets très variés concernant le stockage profond. Ils ont été ainsi impliqués dans une approche multidisciplinaire et multi-scalaire, intégrant le contexte géologique du site (stratigraphie, sédimentologie, tectonique, évolution morphologique), les risques sismiques régionaux, la géochimie des eaux et la modélisation hydrogéologique, les évolutions climatiques, le comportement mécanique des matériaux, la composition minéralogique, la porosité et la perméabilité de la couche de confinement et des barrières, les mécanismes de diffusion des radionucléides…. L’implication de nombreuses équipes françaises et européennes et les publications des résultats des travaux dans des revues de rang international, soumises à des revues de pairs, confirment la qualité des travaux effectués dans le domaine des Sciences de la Terre.
(1) (2)
Approche géologique multi-scalaire (1) échelle pluri-kilométrique : vue géologique 3D du secteur Meuse/Haute Marne (2) échelle microscopique : les faciès des argilites, grossissement de la matrice argileuse, image RVB obtenue par cartographies X élémentaires ; légende : rouge : quartz, magenta : feldspaths, vert : carbonates, vert foncé : dolomite, violet foncé : matrice argileuse, noir : zone poreuse.in Mémoires de la Société Géologique de France, 178, 2007.
A l’issue de ce processus, la Société Géologique de France observe que :
- Les études ont confirmé le bien-fondé des conclusions du rapport « Goguel » ;
- Les caractéristiques sismique, tectonique, mécanique du site sélectionné apparaissent favorables ;
- La couche « hôte », d’âge callovo-oxfordien, présente une très faible perméabilité, une faible teneur en eau, une très fine porosité, des capacités d’absorption importantes, une bonne homogénéité horizontale avec une faible variation verticale et une bonne résistance mécanique ;
- Son épaisseur et sa profondeur paraissent adaptées.
En conséquence, la Société Géologique de France considère que, dans l’état de nos connaissances scientifiques actuelles, l’option de stockage géologique profond réversible de déchets radioactifs de type HA et MLVA est, sur le plan technique, le moyen le plus sûr et le mieux adapté pour gérer ces éléments compte tenu des choix énergétiques effectués.
La Société Géologique de France souligne la nécessité de :
- mettre en place d’une surveillance géologique du site à une large échelle
- poursuivre des programmes de recherche, enrichis par les observations du suivi, pour réduire sans cesse les incertitudes et minimiser les risques
- pérenniser des filières de formation permettant d’accéder aux compétences nécessaires à la sureté du site de stockage et à ses impacts sur l’environnement.
De même, il est nécessaire de continuer à porter une attention particulière sur les aspects hydrodynamiques et sur la diffusion sur de très longues périodes de temps. Une révision des scénarios climatiques devra être réalisée à la lueur des résultats des travaux du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat)
Par ailleurs, ne pouvant présager des résultats des avancées scientifiques et des innovations technologiques futures, la réversibilité du stockage apparaît comme un critère important pour permettre la mise en œuvre d’éventuelles solutions nouvelles, bien que cette option complique la mise en œuvre technique et en augmente les coûts.
Dans le cadre de notre enquête interne, une majorité des professionnels ont manifesté leur réprobation face à l’impossibilité de tenir des réunions publiques dans le cadre du Débat National, en conformité avec le souci de la Société de diffusion et de transparence des connaissances scientifiques. Une majorité a jugé l’information technique vis-à-vis du public, au niveau national, peu lisible bien que diffusée par voie de presse et internet. La Société Géologique de France milite pour que les citoyens puissent disposer d’informations techniques sérieuses et confirme sa volonté de contribuer à la diffusion des connaissances par la médiation scientifique, sachant que l’acceptabilité sociale de tout programme technologique et industriel passe par l’éducation du public dans le domaine des sciences.
Enfin, les professionnels estiment que la communication des résultats scientifiques des études a été suffisante.
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