360 F 30048671 zo6yATKHPV2qPQxEoqfbtDsRVpj9UNlK

facebooklinkedintwitter youtube
  • Actualités

    Actualités

 

Préambule : cet article a été rédigé pour la revue « Géologues » à partir du discours donné par Marc Blaizot (Directeur Exploration du Groupe Total de 2011 à 2015), à l’occasion de son départ en retraite, au Muséum d’Histoire Naturelle, le 06 janvier 20151.

 

La géologie, c’est d’abord une science de la mémoire puisqu’elle étudie en priorité l’évolution de la Terre dans le temps et l’espace, mais d’une mémoire renouvelée, enrichie sans cesse par nos travaux, nos intuitions, nos recherches, nos intelligences. Préférons toujours la belle phrase de Bergson « il n’y a pas d’avenir sans mémoire » à celle plus marxiste qui dit « du passé faisons table rase », phrase à la fois schizophrénique et totalement inopérante pour la majorité des géologues. La géologie c’est essayer, humblement mais passionnément, de savoir ce qui s’est produit depuis des milliards d’années sur l’ensemble de la planète, et au-delà, non seulement pour décrire le passé mais surtout pour comprendre le présent et si possible déchiffrer un peu l’avenir et le faire meilleur pour l’homme.

La géologie a toujours été anthropocentrique, destinée à améliorer la condition humaine, sans se soucier d’ailleurs beaucoup de chartes écologiques. On considère qu’elle est née en tant que corpus de connaissances au cours du dix neuvième siècle et plus encore du vingtième siècle. Mais combien de balbutiements antérieurs, depuis le Paléolithique quand quelques précurseurs qu’on n’appelait pas encore géologues, ont compris l’utilité du silex pour créer les premiers outils et la première forme d’énergie, le feu, ou l’intérêt du karst, la caverne en langage de l’époque, pour créer les premières protections et les premières formes d’art, la peinture rupestre et les sculptures en ivoire. Au fil du temps, l’homme, sans le savoir, en apprivoisant la nature, est devenu géologue. Mineur et métallurgiste d’abord à partir de l’or, du cuivre ou surtout du fer ; maçon et architecte ensuite par l’utilisation de la pierre, de l’argile ou des premiers ciments, bijoutier, énergéticien enfin, bien plus tard, grâce au charbon et au pétrole.

En géologie, comme dans bien d’autres sciences, l'observation et l’expérience ont précédé le concept, le savoir et la théorie. Notre méthode comme celle des médecins est basée  sur  le raisonnement inductif plus que déductif : de l’observation au savoir par le raisonnement comme le proposait déjà Hippocrate en – 500 avant notre ère. Sans les premiers champs et cadastres, pas de géométrie et de théorème de Pythagore ; sans les premiers alliages, pas de chimie et de table de Mendeleïev, sans les premiers moteurs à juste titre nommés à explosion, pas de thermodynamique  et  de  principe de Carnot ; sans les carrières de gypse parisien, pas de paléontologie et d’anatomie comparée, chère à Cuvier. Ainsi, nous ne pouvons que nous placer, modestement, dans cette grande lignée géologique qui est finalement celle de l’histoire humaine. Mais en même temps, que nous héritons de la richesse, de l’expérience de nos parents, de nos prédécesseurs, nous empruntons à nos enfants, à nos successeurs.

Car la géologie va encore être plus prépondérante en ce siècle qui commence que dans tous les autres. Parce que nous héritons d’une Terre en mauvais état, en grande partie du fait de l’exploitation sans vergogne et sans limite de richesses géologiques, trop rapidement considérées comme abondantes à l’échelle planétaire, et qui ont aussi trop souvent donné lieu à des drames sanglants. Ce qu’il vous faut essayer de faire comprendre, de faire apprendre aux étudiants, c’est qu’il est possible, qu’il est indispensable, si nous voulons être acceptables comme l’avait si bien compris Christophe de Margerie dans une de ses fulgurantes intuitions, de découvrir sans conflits, exploiter sans traumatiser, aménager sans détruire, tout en soignant, si possible, nos excès antérieurs.

Ce sont à la fois des défis majeurs mais aussi d’immenses opportunités qui s’ouvrent comme jamais pour notre science et donc nos métiers avec toujours plus de créativité et d’innovations : pensons à l’immense territoire de la science qui va devenir la science majeure au XXIe siècle, celle des matériaux. Mais plus de conquistadors, le mot témoigne trop bien de ses conséquences, l’or en Europe certes, mais aussi l’extinction des Indiens aux Caraïbes et en Amérique ; plus de cartes géologiques relevées à l’abri des armées coloniales ; plus d’exploitations minières sculptées par l’esclavage ou le goulag ; plus de corps détruits , ensanglantés ou empoisonnés dans les mines, du Minas Gerais à la Mandchourie en passant par le bassin houiller franco-belge ; plus de désastres pétroliers, de Bakou au delta du Niger, où on se demande ce qui l’emporte du désastre humain et social ou de l’échec environnemental. Je crois d’ailleurs que cette nouvelle conscience, déclinée autour du développement durable, et ces deux mots devraient avoir la même importance, fait son chemin et progresse même et avant tout parmi les multinationales du pétrole !

Il va falloir penser à « l’après » : pas de nouvelles mines sans penser aux remises en état postérieures, pas de nouveaux gisements pétroliers sans l’après pétrole, pas de nouveaux captages d’aquifères sans recyclage de l’eau. Nous aurons ainsi à la fois à corriger nos bêtises, à explorer et développer nos découvertes, en pensant cette fois-ci à nos enfants et nos petits-enfants, le tout avec une pression démographique mondiale jamais atteinte.

Alors quels sont les défis et les opportunités qui nous attendent ? On peut les décrire autour de trois mots : Ressources, Rejets et Risques. Les ressources, on l’a vu, sont toutes nées du temps et de l’espace géologiques ; or, elles se raréfient rapidement ; c’est le cas en particulier de l’eau de surface et des grands aquifères. C’est cette tendance structurelle lourde qui entraînera l’augmentation du prix des matières premières à long terme. Ces matières premières génèrent par leur exploration ou surtout leur exploitation des rejets divers dans la biosphère, rejets que nous avons très longtemps refusé de voir. Or, du fait de la démographie, ces déchets sont de plus en plus importants : nous sommes 7 milliards d’habitants qui rejetons environ 2 milliards de tonnes par an. Les rejets doivent donc devenir l’un des nouveaux minerais. Enfin, des risques associés à un urbanisme mal maîtrisé, trop facilement considérés comme des risques « naturels » , car la population très dense, se masse autour des mers ou des grands lacs, c’est-à-dire par définition des zones à risques, tsunamis, séismes, failles, volcans et montée des eaux liée au réchauffement climatique anthropique. Tous ces risques liés au développement humain, très bien venu par ailleurs pour l’immensité des pauvres de la planète, en particulier le milliard d’individus qui n’a accès ni à l’eau potable ni à l’énergie, nous rendent vulnérables comme citoyens du monde mais surtout responsables comme géologues, géologues pétroliers et miniers en particulier.

Donc, les mots d’ordre devraient être conscience et coopération avec cette ouverture au monde, à l’autre, à la différence, qui nécessite ces qualités rares de l’écoute et de l’observation : écouter et regarder pour entendre, c’est la qualité naturelle ou plutôt acquise du bon géologue. Comprendre, et ici le préfixe « com » veut dire avec, veut dire ensemble, a toujours été et sera toujours la gageure des sciences géologiques. Plus qu’ailleurs en biologie ou en médecine par exemple, où il y a en permanence réponse du vivant, de la plante ou du patient, aux stimuli des scientifiques, nous devons travailler ensemble, accepter les interprétations, par nature multiples et contradictoires, de  nos résultats et de nos travaux. La découverte, le talent en géologie viennent de l’expérience des autres, de nos entraînements réciproques, des analogies. Les pierres elles sont muettes et les géologues doivent être un peu, pas trop, bavards : ils auront toujours à discuter, comparer leurs résultats en ignorant les frontières des spécialités. Les modélisations toujours plus puissantes en 3D (et là encore la minéralogie a été, avec l’architecture, le grand précurseur de la géométrie dans l’espace)  et maintenant 4D (qui intègrent enfin la dimension temporelle, historique,  fondamentale)  qui envahissent la géotechnique, l’hydrogéologie, la géologie pétrolière grâce aux mathématiques et à l’informatique, sont bien sûr à développer mais leur caractère prédictif est et sera d’abord et toujours fonction de l’excellence des données d’observation, de la validation de mesures réunies en cohérence dans une discussion d’équipe où fusionnent toutes les compétences. Et quand un fait, une mesure, une donnée contredisent une théorie ou une modélisation, n’ignorons pas les faits et  changeons  de modèle !

Nous aurons besoin à l’avenir de trois grands types de géologues :

  • des Pénélope en premier lieu, habiles stratèges capables de comprendre le contexte global, de maîtriser le temps et l’espace, de persévérer envers et contre tous ; et il serait bon qu’enfin les Pénélopes soient des… femmes car ce métier a été trop longtemps l’apanage des hommes ;
  • des Ulysse, des pionniers, des aventuriers avec un sens tactique prononcé, pragmatiques, allant à l’essentiel et insérés comme des poissons dans l’eau en tout milieu et en tout lieu ;
  • des Télémaque enfin, capables de valider et de gérer l’information devenue pléthorique,  autre gros problème géologique à venir, passionnés d’autres futurs, capables d’imaginer un autre monde, de remettre en cause nos vieilles certitudes.

Mais finalement, ces stratèges persévérants, ces pionniers audacieux, ces chercheurs passionnés, nous avons toujours su les former et les avons vus travailler à coté de nous !quand en s’appuyant sur une géologie rigoureuse même si toujours incertaine, ils nous ont permis de réaliser (après bien des échecs souvent !) des découvertes majeures à la base de notre richesse individuelle et collective. Ils nous ont montré qu’il n’y a rien de faible, de faux, de triste, d’infamant dans l’erreur, que c’est au contraire la preuve d’un esprit de chercheur, d’entrepreneur, de preneur de risques qu’il nous faut  maintenir envers et contre tous, car si nous ne faisons que ce que nous savons déjà faire, alors nous n’avançons plus, nous n’apprenons plus et nous ne ferons jamais mieux.

Explorer c’est un art de la guerre, c’est « décider dans l’incertitude » comme disait le grand  Foch, c’est prendre des risques, donc échouer souvent ; c’est donc anxiogène, stressant ; cela nous fait peur et nous réveille la nuit. « Ce qu’il souffre celui qui ose » disait Vincent Van Gogh. Et pourtant, nos échecs nous permettent de nous améliorer, et encore plus fort : combien de découvertes pétrolières (ou autres) sont même le résultat d’échecs, d’erreurs d’interprétation ? Mais combien aussi de nos non- découvertes sont le résultat d’absence de patience, d’absence de volonté, d’absence de persévérance, d’absence d’audace. Nous voyons bien comment il nous faut nous renforcer, collectivement sur l’audace nécessairement alliée à la solidarité, sur l’écoute nécessairement alliée à la transversalité pour être persévérants et ouverts aux idées nouvelles, gages de nos succès.

Il est important et de faire des erreurs (enfin pas trop non plus) et de les reconnaitre. Il nous faut, pour cela, du temps et de l’intelligence pour simplifier, synthétiser dans le magna de données acquises, ce qui fait sens, ce qui est signal faible de découverte ; il nous faut de la patience et de la bienveillance entre nous pour nous écouter, pour reformuler, pour aller au consensus sur l’interprétation  des résultats d’une sismique ou d’un affleurement. Personne n’a la vérité, ni le spécialiste, ni  le généraliste dans nos métiers éminemment interprétatifs. Il nous faut même parfois bâtir dans l’humilité, des nouveaux savoirs et les transmettre. C’est notre rôle éminent et commun de professeurs et de praticiens.

Prenons donc racine dans ce passé et étendons nos branches vers l’avenir comme disait si bien Victor Hugo. Analysons pour rebondir, et pour explorer encore. En exploration nous ne jouons pas au casino comme je l’entends malicieusement dire dans les couloirs de la Tour d’un grand pétrolier, nous bâtissons ensemble un nouveau savoir ! Car il n’y a pas beaucoup d’alternatives, si l’on veut créer de la valeur. L’exploration n’est pas le quatrième moyen de perdre de l’argent c’est le seul moyen pour une compagnie pétrolière de s’enrichir. Sans nous, géologues explorateurs, pas de présent et surtout pas d’avenir ! Mais en même temps, le temps nous est compté car nous ne pouvons pas vivre isolés, scientifiques en train de bâtir trop lentement une science, un savoir, mais nous devons nous battre dans le monde, le monde de la compétition, de la mondialisation. Nous avons l’ardente nécessité, par nos résultats, d’attirer actionnaires, salariés et clients. Pour cela, l’exploration est donc seulement, simplement, indispensable !

 

L'intégralité du discours est publié dans la revue des anciens élèves de l'École nationale supérieure de Géologie de Nancy (ENSG).